Lecture
Les couvertures et leurs dessous
La Presse
On ne s’en vante peut-être pas, mais on juge toujours un peu un livre à sa couverture. Qu’on le trimballe dans le métro ou qu’on le laisse traîner sur la table à café, le livre est avant tout un objet. On l’achète pour son contenu, bien sûr, mais ça ne nuit pas quand il a une belle jaquette. Et les jeunes maisons d’édition l’ont bien compris.
« La littérature s’est dépoussiérée, lance Benoit Tardif, directeur artistique aux Éditions de ta mère, éditeur entre autres de
de Véronique Grenier. Aujourd’hui, on retrouve de l’audace dans le contenu ET dans la couverture. »« Les habits du livre sont à mes yeux une part importante de sa promotion, estime quant à lui Antoine Tanguay, fondateur des éditions Alto, éditeur de
de Larry Tremblay. L’expression "on a peu de chance de faire une seconde impression" s’applique particulièrement bien dans le contexte de l’édition. »« Les couvertures de livres, c’est un univers qu’on a beaucoup négligé au Québec, croit pour sa part Sylvain Allard, professeur à l’École de design de l’UQAM. Aujourd’hui, on assiste à une renaissance dans ce domaine. »
Selon ce professeur, les jeunes lecteurs ont une culture visuelle plus développée que leurs aînés, sans doute à cause du web et des médias sociaux. « J’enseigne depuis une vingtaine d’années, dit-il, et je vois bien que mes étudiants actuels ont une grande capacité à comprendre, à associer les images, la couleur, la composition… Ils arrivent avec des connaissances. »
Chaque année, Sylvain Allard demande à ses étudiants d’imaginer une jaquette pour des œuvres connues.
« Les résultats montrent bien que l’absence de créativité n’est pas une question de moyens financiers », estime-t-il. Selon lui, certaines couvertures conçues au Québec sont absolument gênantes. « Je crois que ça s’explique d’abord par l’ignorance de ce qu’est le langage graphique et par l’absence de reconnaissance de ce travail. »
Aux éditions Le cheval d’août, une petite maison qui compte déjà six titres, on arrive effectivement à concevoir des concepts de jaquettes originaux malgré des moyens somme toute limités.
« Je suis entourée d’artistes, d’artisans même, qui font beaucoup avec peu, affirme l’éditrice et fondatrice du Cheval d’août Geneviève Thibault. Par exemple, pour
, on a utilisé une photo de la mère de l’auteure, Corinne Larochelle, prise en Gaspésie lorsqu’elle avait 20 ans. Pour de Sophie Bienvenu, c’est une photo prise à Londres. Pour de Fanny Britt, par contre, on a acheté une photo d’Hugo Boucher. »« La couverture c’est une signature. La direction esthétique fait partie de la démarche identitaire d’une maison d’édition, elle permet d’asseoir sa signature. »
— Geneviève Thibault
Tous les éditeurs que nous avons contactés nous ont longuement parlé de leur amour pour le travail bien fait, leur souci de rendre justice à l’œuvre et à son propos.
« Fabriquer un bel objet va bien au-delà de l’idée de la mise en marché, précise Mélanie Vincelette, des éditions Marchand de feuilles (
d’Éric Dupont, d’Anaïs Barbeau-Lavalette). C’est l’idée d’utiliser le design comme forme d’art. Une page couverture blanche ou beige avec le titre et le nom de l’auteur, quoi qu’on puisse en dire, restera toujours une façon banale de présenter un livre et ne laisse pas beaucoup de chance au coureur. »Même son de cloche du côté d’Antoine Tanguay. « Si Alto se définit comme un "éditeur d’étonnant", dit-il, c’est parce qu’on cherche à détonner et étonner en fabriquant nos bouquins. Nous choisissons des techniques de fabrication peu communes ou des cartons particuliers par exemple. C’est un acte naturel, en parfaite adéquation des textes que j’apporte au lecteur. »
Difficile toutefois d’évaluer si les belles jaquettes de livres ont un impact sur les ventes. Chose certaine, elles ne passent pas inaperçues. « Nous avons une bonne cote d’amour chez les libraires et nos livres sont mis en évidence dans les librairies indépendantes », affirme Benoit Tardif des Éditions de ta mère.
« Nos couvertures nous ont aidés à nous tailler une place en tant que jeune maison. Quand je visite les salons, les gens me parlent de nos couvertures. »
— Benoit Tardif
« Une belle page couverture attirera peut-être des lecteurs qui n’ont jamais entendu parler du livre », croit pour sa part Mélanie Vincelette de Marchand de feuilles. C’est ce que pense aussi Antoine Tanguay des éditions Alto. « Grâce à la jaquette, mais aussi grâce à d’autres détails importants – format, papier, police de caractère – le livre, perdu dans une mer de nouveauté, peut attirer le regard du lecteur. Une couverture réussie peut être une bougie d’allumage. »
L’animatrice de l’émission littéraire
, Marie-Louise Arsenault, pose souvent la question « Que lisez-vous en ce moment ? » sur Facebook et Twitter. Sa question s’accompagne d’une photo du livre qu’elle est en train de lire. Et les gens répondent aussi en photographiant la couverture de leur bouquin.Avec le temps, les réseaux sociaux sont devenus une vitrine supplémentaire pour les livres et les éditeurs en sont bien conscients. « Les réseaux sociaux sont un appui précieux en ce qu’ils prolongent l’engouement des lecteurs pour les choses bien faites, croit Antoine Tanguay d’Alto. Certains photographient leur assiette, d’autres le livre qu’ils dévorent. Je suis le premier à m’en réjouir et à favoriser ce genre de partage. »
« J’ai fait nettoyer la couleur de la couverture du livre
parce que je trouvais qu’elle sortait mal à l’écran, avoue l’éditrice de Fanny Britt, Geneviève Thibault. J’ai opté pour une couleur plus pure afin qu’elle ressorte mieux quand on la photographie. Je n’irais pas jusqu’à dire que les médias sociaux ont une influence majeure, mais des sites comme Pinterest ou même Amazon peuvent avoir une influence sur une clientèle de bouquineurs qui ne sont pas nécessairement de grands lecteurs. »